Les pionnières de l’immigration polonaise à Bruxelles

Textes et témoignages recueillis par Elżbieta Kuźma

Le chemin migratoire menant de la Pologne à la Belgique a été, dès le début des années 1990, majoritairement emprunté par des femmes originaires de la région de Podlasie, située au Nord-Est du pays.

Sévèrement touchée par les coûts de la transformation politique et économique lors du passage de la Pologne vers l’économie capitaliste, cette région a connu un taux de chômage très élevé. Des femmes ont alors trouvé à Bruxelles une solution pour échapper à l’appauvrissement et la dégradation de niveau de vie de leurs familles.

Majoritairement employées dans la domesticité, elles ont réussi à se faire une renommée et avoir une situation professionnelle plus stable que les hommes alors principalement actifs dans le secteur de la construction.

Avec le temps, certaines ont désiré changer de métier en développant leurs propres petits business, en général ethniques, liés aux besoins de la communauté polonaise.

Aujourd’hui, ces femmes ont réussi à se faire une place et à s’impliquer tant dans leur communauté que dans la société multiculturelle bruxelloise. Néanmoins, ce passage du statut de migrantes irrégulières à ressortissantes européennes n’a été facile. Sans connaissance de la langue, avec peu de moyens et d’expérience de vie dans une grande métropole, elles ont fait preuve de persévérance, débrouillardise et résistance aux épreuves liées à l’éclatement familial.

Malgré une intégration généralement considérée comme réussie, ces femmes et leurs histoires restent peu connues par les bruxellois avec qui elles cohabitent depuis presque trois décennies.
Ces quelques portraits et témoignages nous montrent que derrière chaque femme il y a une histoire, un vécu et une famille toujours placée au cœur du parcours migratoire.

GOSIA

L’histoire migratoire de Gosia est particulièrement touchante parce qu’elle témoigne de la force et de la grande détermination dont une femme peut être capable en cas de besoin.

Arrivée à Bruxelles à 26 ans, Gosia souhaite offrir à ses jumelles une sécurité financière. Pendant longtemps elle commence ses journées à 4h du matin en faisant le ménage dans un café près de Montgomery, enchaîne avec une journée de travail de 8h dans une laverie, puis nettoie une boucherie jusqu’à 23h.

Depuis 16 ans, elle travaille à la laverie située à la chaussée d’Ixelles et aujourd’hui tous les habitants du quartier la connaissent. Elle aime son emploi et le contact avec les gens.

A son arrivée, le plus difficile est de se sentir étrangère dans une ville inconnue et de se battre seule contre les obstacles et les difficultés de la vie quotidienne. Depuis lors, Bruxelles est devenue “la vraie maison” de Gosia, le lieu où elle se sent bien et où ses filles ont grandi. Elle y a ses repères et ses attaches et déclare même se sentir plus chez elle ici qu’en Pologne, même dans sa ville natale de Zambrów où sa mère et sa sœur vivent toujours. 

Gosia est fière de bien élever ses deux filles jumelles et de leur offrir un avenir meilleur que celui qu’elle pouvait espérer. 

Selon elle, dans la vie, il faut toujours compter sur soi-même, être forte et ne jamais rien regretter. 

KATARZYNA

L’aventure migratoire de Katarzyna commence en 2000 lorsqu’elle travaille comme vendeuse dans un magasin de vêtements en Pologne. Avec son dernier salaire, elle achete un aller-simple pour Bruxelles où elle veut trouver une vie meilleure.

Son projet initial est d’y travailler deux ans, gagner de l’argent, faire des économies et rentrer au pays où elle a laissé toute sa famille. 19 ans plus tard Katarzyna vit toujours à Bruxelles.

Katarzyna travaille comme femme de ménage via le système de Titres-Services. D’après elle, faire le ménage est un travail comme un autre et n’a rien de dégradant. Elle travaille toujours chez des gens qu’elle aime bien et ceci est réciproque. Elle cite d’ailleurs les propos de Selma, son employeuse depuis de longues années : « J’ai trois fils. Mais avec toi, j’ai la fille que j’ai toujours voulu avoir ».

Née à Hajnówka, une petite ville de la région de Podlasie, elle est très attachée à la nature et cherche toujours le contact avec les grands espaces un peu sauvages. Pour cette raison, elle se promene régulièrement en Ardennes.

La solitude reste la plus grande difficulté rencontrée. Malgré ses repères à Bruxelles, elle envisage toujours de rentrer dans son pays natal. Mais avec le temps qui passe, elle trouve cela de plus en plus difficile.

Si Katarzyna pouvait revivre sa vie, elle ne partirait pas de chez elle…

MARIOLA

Mariola arrive en Belgique à l’âge de 25 ans, après avoir fini ses études supérieures en pédagogie. Elle envisage de passer un an à Bruxelles, travailler, faire des économies à utiliser en Pologne. Mais comme souvent dans le cas de migrants, le projet initial change au cours de la vie. Mariola rencontre alors son futur mari et décide de fonder sa famille ici.

Alors qu’elle travaille en-dessous de ses qualifications comme femme de ménage, Mariola investit dans son développement personnel, notamment avec l’apprentissage du français, et est convaincue que cet effort portera ses fruits.

En 2008, Mariola crée, avec son mari, la société Pol Wim sprl active dans le secteur du nettoyage chez les particuliers. Grâce à son expérience professionnelle précédente, elle gère une centaine de contrats avec des femmes de ménage via le système de titres-services, trouve des solutions aux problèmes, etc…

Cette femme active et entrepreneuse aime bien son pays et sa ville d’accueil. En Belgique, elle apprécie les conditions économiques favorables et les possibilités de développement personnel. Mis à part le climat, qu’elle trouve trop pluvieux, elle aime tout ici, particulièrement la richesse de la vie culturelle, et l’ouverture d’esprit des Belges vis-à-vis des étrangers.

Originaire de Wysokie Mazowieckie dans la région de Podlasie, elle ne souhaite pas y retourner. Elle pense qu’après tant d’années, il serait trop difficile de s’habituer à nouveau à la vie en Pologne.

EWA

Avec sa sœur Marta, Ewa tient un salon de coiffure et de soins de beauté situé au cœur de Matonge à Ixelles. Originaire de la ville de Bialystok, elle vient à Bruxelles en suivant le chemin migratoire de sa tante. Ewa dit ne plus compter les années passées en Belgique, pays qu’elle considère comme sa deuxième patrie.

Ewa a toujours travaillé à Bruxelles comme coiffeuse et n’a jamais eu de problème pour trouver du travail dans ce domaine.

Même si elle se sent très bien à Bruxelles, son cœur est resté en Podlasie, où une grande partie de sa famille vit toujours. Elle s’identifie comme Polonaise de Bruxelles et citoyenne européenne. Ce sentiment se renforce par le fait que les institutions européennes ne sont pas loin et que de nombreuses fonctionnaires de différents pays sont devenues ses clientes.

Malgré le fait que Ewa trouve que les rues de Bruxelles sont trop sales et qu’il pleut souvent, elle aime la richesse multiculturelle de la ville et le mélange de population, notamment dans le quartier où elle travaille.

Ewa consacre son temps libre à sa grande passion : la peinture d’icônes religieuses, un art qu’elle étudie depuis quelques années. Cela lui permet d’échapper un peu à son quotidien, développer son talent et nourrir son amour pour les arts plastiques.

Cette femme courageuse et entrepreneuse souhaite toujours se concentrer sur les côtés positifs de la vie.

IZABELA

Izabela appartient à la deuxième génération de migrants polonais, celle des enfants qui ont grandi en entendant parler de la Belgique et qui ont passés de nombreuses vacances à Bruxelles.

Izabela vient pour la première fois à 8 ans, pour rendre visite à sa maman et revient passer chaque année un mois de vacances. Elle accompagne alors sa maman au travail ou au magasin pour faire les courses. A la fin de ses secondaires, Izabela vient s’installer à Bruxelles et travaille comme fille au pair puis comme femme de ménage pour devenir financièrement indépendante. En même temps, elle s’inscrit à l’Université Libre de Bruxelles pour apprendre l’anglais et férquente des cours du soir.

Lorsque son frère est vicitme d’un accident de voiture et suit une longue réhabilitation, Izabela s’inscrit à une formation de coach personnel et réussit avec succès. Son parcours professionnel se concrétise quand elle reçoit une proposition de travail chez Basic Fit à Auderghem. Dès lors, elle s’implique dans le sport et dans la popularisation d’un style de vie sain et actif. Elle organise, dans différentes villes belges, des séances d’entrainement avec des célébrités polonaises de fitness comme Ewa Chodakowska.

En Belgique, Izabela apprécie la liberté, les possibilités d’éducation et de développement personnel ainsi que le système de soins de santé. Elle considère Bruxelles comme sa deuxième maison où vit déjà toute sa famille. Bien qu’elle aime rentrer occasionellement en Pologne, avec son compagnon originaire de Flandres, elle ne s’imagine pas y vivre à nouveau.

Izabela a sa propre devise qu’elle cite en anglais : «Never give up because great things take time».

BOGUSIA

Bogusia arrive à Bruxelles en 2011 après avoir quitté son emploi de vendeuse dans un magasin à Varsovie.

La jeune fille est un rare exemple de migrantes qui n’ont pas subi de changement d’emploi lors de leur départ à l’étranger. Bogusia a toujours été employée comme vendeuse. Aujourd’hui, elle travaille dans une épicerie polonaise.

La méconnaissance du français est la plus grande difficulté à son arrivée en Belgique. Alors, elle apprend la langue en autodidacte.

Bogusia se sent bien à Bruxelles malgré le fait que sa famille lui manque et qu’elle a peu de contact avec la population belge. Elle y apprécie la facilité de la vie avec un salaire suffisant pour ses besoins. Bruxelles est comme sa deuxième maison. Elle aime se balader dans les vieilles ruelles du centre ville et n’aime pas la grisaille et la pluie qui rendent parfois les journées tristes.

Née dans une petite ville de Ciechanowiec dans la région de Podlasie, Bogusia est une vraie passionnée de nature. Elle apprécie les espaces verts et les parcs, surtout ceux d’Ixelles où elle vit et travaille depuis longtemps.

BEATA

Beata est originaire de Wysokie Mazowieckie dans la région de Podlasie.

à tout juste 20 ans et un diplôme d’école secondaire en poche, Beata décide de partir à Bruxelles où sa mère vit déjà depuis quelques temps.

Arrivée en 1991, elle projette de rester deux ans et repartir en Pologne avec l’argent gagné. Ne sachant pas parler français et face à la difficulté de trouver un emploi, Beata fait alors des ménages. La situation est également difficile pour son fils qui doit commencer une scolarisation dans une langue étrangère.

En 2008, encouragée par son mari, Beata décide de suivre son rêve et d’ouvrir un petit magasin de fleurs à Etterbeek. Malgré l’absence de formation dans ce domaine, elle rencontre le succès et les clients, belges ou polonais, affluent. Etant alors la seule fleuriste polonaise de la capitale, elle accumule les commandes pour l’ambassade ou le consulat polonais.

Bien que Beata considère la Belgique comme sa deuxième patrie, elle déclare être prête à faire ses valises et retourner en Pologne. Mais la chose n’est pas simple alors qu’elle a développé un business et que son enfant a passé une grande partie de sa vie à Bruxelles.
Pour consoler son mal du pays, elle retourne tous les deux ou trois mois en Podlasie où vit maintenant sa mère retraitée.

BOZENA

Bożena est originaire de la campagne Kadłubówka située au cœur de Podlasie. Elle arrive à Bruxelles en 1990, à l’âge de 20 ans, avec le projet d’y passer un an et de gagner un peu d’argent pour payer ses études supérieures en Pologne. Mais la vie décide autrement…
7 mois après son arrivée, Bożena rencontre son futur mari et s’installe de manière définitive à Bruxelles.

Travaillant d’abord comme jeune fille au pair puis comme vendeuse dans une épicerie polonaise près de la Mission Catholique Polonaise à Saint Gilles, elle devient copropriétaire d’un petit magasin vendant les produits de son pays natal.

Depuis 10 années, elle tient, toujours en co-propriété, le petit magasin de presse et de livres situé au cœur de Matonge à Ixelles.

Bożena aime bien son pays d’adoption pour la tolérance envers les étrangers et la richesse socio-culturelle. La vie en Belgique, c’est la réalisation de son rêve d’une vie meilleure. Bruxelles, c’est avant tout le lieu où elle fonde sa famille.